Quelles responsabilités professionnelles à prendre en compte la sexualité des personnes accueillies en institution médico-sociale ?

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Extrait de l’intervention à la journée institutionnelle de l’association Coallia, le 16 septembre 2014, Ivry sur Seine

La notion de protection de la vie privée permet de protéger tout citoyen d’empiétements injustifiés, c’est une notion particulièrement intéressante pour les personnes en situation de de dépendance, qui sont, du fait de la vulnérabilité liée à leur situation, plus sujettes à des empiétements injustifiés à leur vie privée.

Le Droit au respect de la vie privée, protégé est défini par des textes à portée nationale et des conventions internationale : les articles 9 du code civil, 8 de la convention européenne des droits de l’homme, il est aussi spécifiquement rappelée pour les personnes qui se trouvent dans des situations de dépendance particulière lorsqu’elles sont accompagnées par des institutions médico-sociales dans la charte des droits et libertés de la personne accueillies issue de la loi du 2 janvier 2002..
La sexualité, est sans conteste un élément de la vie privée doit pouvoir être promue au sein de l’institution et à l’extérieur.
Le principe a été récemment rappelé par la CAA Bordeaux le 6 novembre 2012 dans une affaire où un patient d’un hôpital psychiatrique contestait le règlement de fonctionnement de l’établissement qui interdisait les relations sexuelles entre patients.
Il semblerait cependant que lorsque les personnes accueillies en institution médico-sociales font l’objet d’une mesure de protection juridique, et elles sont très nombreuses, elles fassent plus aisément l’objet d’atteinte à leur vie privée.

Il faut en effet rappeler que la loi du 5 mars 2007 dite portant réforme de la protection juridique des majeurs a posé le principe selon lequel, outre le fait qu’une personne qui bénéficie d’une mesure de protection « choisisse le lieu de sa résidence, entretienne librement des relations personnelles avec tout tiers, parent ou non. Elle a le droit d’être visitée et, le cas échéant, hébergée par ceux-ci. En cas de difficulté, le juge ou le conseil de famille s’il a été constitué statue. » Art 459-2 du code civil
Cela consiste à dire, et cela a été rappelé dans la charte des droits et libertés de la personne protégée , que sans décision du juge des tutelles ou du conseil de famille, la personne avec une mesure de protection conserve le droit d’entretenir des relations avec le ou les personnes de son choix.

La loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs vient donc modifier le code civil pour permettre une amélioration notable de la protection de la vie privée des personnes protégées.

Pour illustrer les avancées de ce texte sur la question de vie privée des personnes protégées, prenons la situation où la famille d’une personne accueillie en institution médico-sociale s’oppose à ce que « son proche » entretienne une relation affective ou sexuelle. J’ai souvent rencontré des situations où les professionnels référents se pliaient à la décision du proche qui exerce la mesure de protection juridique, imaginant qu’il a autorité. Il n’en est rien…
Il n’y a par conséquent aucune autorisation à demander à quiconque pour l’organisation des relations personnelles des personnes protégées. Si la dépendance affective de la personne protégée avec son tuteur rend les choses plus complexes, il est important de savoir que le tuteur n’a pas à apprécier, ni autoriser ces dernières.
L’article 459 du code civil prévoit que « la personne protégée prend seule les décisions relatives à sa personne dans la mesure où son état le permet » ce n’est que sur autorisation du juge que la personne chargée de la mesure peut prendre une décision portant gravement atteinte à la vie privée de la personne protégée et tant que la personne est apte à signifier ses choix, il ne parait pas opportun de saisir un juge.
C’est un cadre légal qui mérite d’être réaffirmé dans des situations où des personnes protégées font des choix de partenaires qui ne sont pas approuvés par la famille : si ces choix ne placent pas la personne dans une situation de danger, au nom du respect à sa vie privée c’est la décision de la personne qui prime.
Il me semble important de réaffirmer ce principe même s’il est loin de résoudre la complexité des situations que vous rencontrez dans la pratique…

 En effet, en matière de sexualité, le consentement est un élément décisif pour déterminer si le comportement relève ou non du domaine pénal.

Or, la mise en place d’une mesure de protection suppose que l’on ait caractérisé une altération des facultés mentales ou corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté et ne facilite évidemment pas l’appréciation du consentement.
II est donc important de rappeler que l’on ne pas considérer que l’altération des facultés mentales rend incapable la personne de consentir à des relations sexuelles, mais le problème qui demeure est de vérifier le consentement de la personne à l’acte, puisqu’en l’absence de consentement à l’acte celui-ci tombe sous le coup de la qualification de viol ou d’agression sexuelle.
Quand on se situe dans le champ de la dépendance ou du handicap, cette vérification est impérative puisque les personnes présentent souvent des difficultés de verbalisation. L’impossibilité pour les personnes vulnérables de former ou d’exprimer clairement leur volonté, exige donc de la part des professionnels qui accompagnent ces personnes une vigilance par rapport au consentement à la relation dans la perspective de l’obligation de protection à laquelle les établissements médico-sociaux sont tenus et à propos de laquelle nous reviendrons.

Quelles responsabilités professionnelles et institutionnelles à prendre en compte la vie affective et sexuelle des personnes accueillies? Quels risques ?
A Le premier niveau de responsabilité à évoquer me parait institutionnel : La responsabilité à l’égard de la vie affective et sexuelle est assumée par l’établissement qui devra formaliser un certains nombres de documents qui définiront le positionnement de l’établissement pour la prise en compte de la vie affective et sexuelle des personnes accueillies.

Ainsi les principes fondamentaux et les moyens mis en œuvre pour la prise en compte de la sexualité dans l’établissement, seront inscrits dans les documents institutionnels tels que le projet d’établissement et le règlement de fonctionnement.

Ces documents constitueront des repères tant pour les professionnels que les familles dans la prise en compte de la dimension affective et sexuelle des accompagnements.

D’une part cela permettra d’informer les familles et surtout d’engager des discussions avec elles sur des sujets qui, on l’a déjà dit, sont sensibles tant dans La principale responsabilité pour l’établissement pour la prise en compte de la dimension affective et sexuelle des accompagnements consiste, nous venons de l’évoquer, à former les professionnels à appréhender ces sujets.


Former les professionnels c’est avant tout leur permettre de connaître le droit applicable en matière de sexualité afin que les accompagnements qu’ils proposent n’entravent le droit à la sexualité, c’est reconnaître le droit pour les personnes accueillies d’entretenir des relations avec les partenaires de son choix en s’affranchissant de l’avis d’un représentant légal.

Ainsi, il me semble important que les professionnels de terrain définissent et formalisent de manière précise via le projet individualisé, les accompagnements qui seront proposés tant en terme de suivi médical, de prévention, que de modalités de suivi des relations de couple afin de vérifier, que l’usager reste consentant à la relation ou que l’équilibre de chacun des partenaires est préservé.
Je suis régulièrement amenée à prendre connaissance de projets individualisés d’accompagnement dans des établissements médico- sociaux et je peux témoigner que rares sont ceux qui formalisent la prise en compte de la dimension affective et sexuelle. Très souvent, cela ne signifie pas que certaines vigilances, certains suivis sont mis en œuvre mais ils sont très rarement formalisés par écrit. Serait-ce la survivance du temps, pas si lointain où les relations affectives et sexuelles étaient interdites au sein de l’établissement, il témoigne en tout état de cause de la difficulté à aborder ces questions?
Cette absence de formalisation est, à mon sens regrettable, dans la mesure où les relations affectives et sexuelles induisent des risques particuliers, il est nécessaire de démontrer que ceux-ci ont été identifiés et qu’il a été mis en place des mesures de protection et des modalités de suivi de ces risques.
En cas de réalisation d’un risque, vous devrez être en mesure de démontrer que vous aviez repéré ce risque et mis en œuvres des mesures pour empêcher sa réalisation… je ne dis pas qu’en cas de poursuite , cela exonère l’établissement de sa responsabilité puisqu’au civil on considère que l’établissement est astreint à une obligation sécurité en dehors de la recherche d’une quelconque faute, mais ces écrits pourraient à mon sens, vous exonérer d’une poursuite pénale.

La vie affective et sexuelle en institution, un espace de liberté surveillée
Indéniablement les mesures d’accompagnement constituent des atteintes à la vie privée, on pourra les qualifier de nécessaires et proportionnée pour assurer la protection de la personne.

Le droit à la protection cela revient à laisser un espace de liberté … surveillée

C’est-à-dire un espace où l’on veille à ce que l’usager ne se mette pas en danger dans l’exercice de ce droit : toute mesure de prévention éducative et de soin doit être prise pour protéger les personnes contre elles-mêmes ou contre autrui si nécessaire.
La vulnérabilité des usagers des établissements médico-sociaux induit un empiètement à la vie privée, il faut arriver à trouver un équilibre entre le droit à la protection et le droit à la vie privée.
Il me parait important de rappeler qu’il est de la responsabilité de l’institution, garante de la sécurité, de s’interroger sur la nécessité de réajuster la mesure de protection et faire en sorte que cet équilibre soit sans cesse ré envisagé au fur et à mesure de l’évolution de la situation des personnes concernées

Abus sexuels: du dépôt de plainte de la victime au jugement de l’auteur ?

l’absence de consentement, fait basculer l’acte dans le champ des infractions pénales.

Je pense que nous serons tous d’accord pour dire que les abus entre usagers, des institutions médico-sociales font rarement l’objet d’un traitement pénal.

J’ai cependant en tête une situation récente où un couple de résidents s’était séparé et où le jeune homme a été condamné par le tribunal correctionnel à une peine avec sursis pour agression sexuelle, les parents de le jeune femme ayant porté à la connaissance du procureur de la république l’agression dont le jeune homme avait été auteur.
La loi pénale s’applique à tous…Il me parait donc important de ne pas préjuger d’une absence de réaction de l’institution judiciaire
Quelle réaction aux abus qui pourraient être commis en sein de l’établissement; les personnes accueillies doivent rendre compte de leurs actes, les réponses sont donc à ajuster par l’institution qui pourra suivant l’importance le degré de gravité de l’acte commis en informer les autorités judiciaires.
Face à un acte d’une personne accueillie susceptible de perturber le collectif, il convient donc de rappeler que les réponses se situent à des niveaux différents :
L’autorité judiciaire fera appliquer la loi, si cet acte correspond à un acte délictueux et qu’elle considère que la personne est capable de discernement, la personne devra répondre de ses actes. Le discernement c’est-à-dire la conscience qu’à la personne de la gravité de l’acte est appréciée par un psychiatre diligenté par l’autorité judiciaire.
L’autorité institutionnelle est quant à elle, responsable de l’accompagnement et de la réponse éducative. La transmission aux autorités judiciaires n’exclue pas une réponse institutionnelle. En effet l’institution ne sera jamais certaine qu’une réponse sera effectivement donnée dans la mesure où un grand nombre de situations sont « classées sans suite » par le parquet. Quand bien même une réponse judiciaire sera donnée, elle sera forcément très décalée dans le temps.
Face à un incident, il sera intéressant de ne pas réduire la situation au moment de l’incident, ne isoler l’incident : on doit apprécier comment on a balisé l’accompagnement, avec quels outils.
Concrètement l’institution doit d’abord évaluer les éventuels dommages et faire intervenir son assurance afin de procéder à une éventuelle indemnisation, elle doit aussi interroger le Projet d’accueil individualités ou d’autres outils qui définissent l’accompagnement afin de comprendre les circonstances de l’abus.

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