Pour vous donner un éclairage juridique sur les conditions d’accueil d’usagers qui s’alimentent par sonde gastrique dans un établissement médico-social, il m’a semblé important au préalable de tenter de définir le cadre dans lequel cet acte est réalisé.
Si le CESAP (Comité d’étude et de soins auprès de personnes polyhandicapées) s’est saisi de cette question ce que dans les établissements qu’il gère, il est amené à accueillir un nombre croissant d’usager avec cette problématique de santé.
La question qui se pose pour l’association gestionnaire qu’est le CESAP et d’autres est de savoir comment accepter ce public dans un cadre juridique satisfaisant ?
Il existe dans les établissements du CESAP une reflexion bien aboutie qui permet de guider les pratiques sur l’alimentation entérale .
C’est donc à partir de cette réflexion entamée par le CESAP que je vais tenter d’apporter un éclairage juridique.
1 Prendre en compte les prestations proposées dans l’établissement ou le service dans lequel on accueille ces usagers
Puisqu’à mon sens si l’on souhaite interroger le cadre juridique de la gastrostomie, il faut se pencher sur le cadre dans lequel il est pratiqué.
Nous nous situons dans un établissement médico-social
Il me semble important de rappeler que les établissements dans lesquels on se situe sont des établissements qui constituent pour les personnes accueillies soit un lieu de vie, soit un lieu d’éducation ou d’apprentissage
Secteur Adultes handicapés
• Maison d’accueil spécialisée (MAS)
• Foyer d’accueil médicalisé (FAM)
• Service d’accompagnement médico-social pour adulte handicapé (SAMSAH)
Secteur Enfants handicapés
• Institut médico éducatif (IME)
• Service d’Education Spécialisée et de soins à Domicile (SESSAD)
• Centre d’action médico-sociale précoce (CAMSP)
Ces établissements relèvent du code de l’action sociale et des familles de l’article L312-1, Il faut donc envisager l’accueil de personnes porteuses de gastrostomie non pas dans le contexte d’un établissement sanitaire dont la principale mission est le soin mais dans le contexte d’un établissement médico-social soumis à une autre logique, qui place au centre de son fonctionnement l’usager (et non le patient) à qui on propose un accompagnement médico-social adapté ou encore de l’enseignement adapté » plutôt que du soin et dont le fonctionnement obéit aux dispositions issues du code de l’action sociale et médico-sociale sur lesquelles je me proposerai de revenir.
2 Qui peut être amené à réaliser l’alimentation gastro entérale ?
Il me faut donc vous rappeler qu’à la lecture du code de la santé publique, l’alimentation gastro enterale relève clairement de la compétence de l’infirmier, or tous les établissements médico sociaux ne disposent pas de suffisamment d’infirmiers pour administrer l’alimentation par sonde gastrique, quand bien même ils en disposent il ne leursemble pas souhaitable de mobiliser l’infirmier sur ce type d’acte.
Il s’agit donc d’envisager la notion de responsabilité à réaliser l’alimentation par sonde gastrique en établissement médico-social lorsque ce sont des aides-soignants, des aides médico-psychologiques ou encore du personnel éducatif qui sont amenés à réaliser cet acte.
Aujourd’hui, le constat que l’on peut faire c’est que les professionnels de santé travaillent dans une « contradiction » entre d’une part l’évolution de leur fonction d’une part et l’adaptation de la formation initiale et de la réglementation d’autre part qui ne suivent pas au même rythme ces évolutions.
L’évolution de la science et des besoins de soins: l’alimentation par sonde gastrique ne relève pas d’une technicité particulière et pourrait être par conséquent assimilée à une aide à un acte de la vie courante.
Pourtant la réglementation est claire : elle place au même niveau « l’Administration de l’alimentation par sonde gastrique, le changement de sonde d’alimentation gastrique ;et la surveillance de patients en assistance nutritive entérale ou parentérale »(l’article R.4311-5 du Code de la Santé Publique ) et considère que l’ensemble de ces actes relèvent du rôle propre de l’infirmier.
La question qui se pose est donc de savoir si l’établissement médico social peut envisager la mise en place d’une collaboration dans un acte de soins infirmier lorsqu’un professionnel non infirmier branche l’alimentation à une personne porteuse d’une sonde gastrique ? et par conséquent considérer qu’il n’est pas nécessaire de prévoir la présence de personnel infirmier dans un EMS pour réaliser l’alimentation par sonde gastrique ?
L’Article R 4311-1 du code de la santé publique met en évidence la responsabilité personnelle de l’infirmier lorsqu’il confie la réalisation de soins à des collaborateurs, dont il doit s’assurer la compétence pour les réaliser.
L’article R 4311-4 du code de la santé publique pose le principe de la collaboration de l’infirmier avec d’autres professionnels et se référant aux qualifications reconnues à ces professionnels dans le cadre de leur formation et en limitant la collaboration à certaines professions ; les Aides-Soignants et les aides médico-psychologiques et auxiliaires de puériculture.
Ceux-ci exercent leur activité sous la responsabilité de l’infirmier qui ne peut en aucun cas s’exonérer de sa propre responsabilité même s’il confie la réalisation d’un acte à un collaborateur.
Le code de la santé publique prévoit que l’infirmier pourrait donc élaborer des protocoles de soins infirmiers qui délimiteraient les conditions de participation des AS ou AMP une fois qu’il s’est assuré de leur compétence.
En octobre 2011, l’ARS Midi Pyrénées mettait en place un groupe de travail sur le champ de la collaboration entre infirmiers et aides-soignants, auxiliaires de puériculture, aides medico-psychologiques.
Leurs travaux ne nous permettent pas d’avancer beaucoup sur la question puisqu’ils proposent une lecture que je pourrais qualifier de frileuse des référentiels de compétence en considérant ces référentiels de formation de l’ensemble des professions d’AMP, AS et ne permettent pas de caractériser la compétence nécessaire à la mise en place d’une collaboration pour l’alimentation par sonde gastrique.
En l’état actuel de la règlementation, seul les IDE seraient compétents pour alimenter par sonde gastrique.
3 L’alimentation entérale se situe à la frontière entre le soin et un acte de la vie courante
Faut-il attendre l’évolution de la formation initiale des professionnels amenés à collaborer pour admettre des usagers porteurs de gastrostomie en établissement médico-social ?
Si les textes en vigueur ne correspondent plus ni aux besoins actuels et ni à la réalité, faut-il considérer que l’alimentation gastro entérale ne nécessite pas de technicité particulière et se situe à la frontière entre le soin et un acte de la vie courante.
C’est le parti pris du CESAP dans son guide de bonnes pratiques sur l’alimentation gastro entérale, qui vous sera présenté cette près midi.
En considérant l’alimentation par sonde gastrique comme une aide à un acte de la vie courante , on peut alors se référer aux principes posés pour l’aide à la prise des médicaments.
L’aide à la prise qui concerne l’étape qui suit la distribution dans les établissements sociaux et médico-sociaux est codifiée à l’article L 313-26 du code de l’action sociale et des familles, elle précise que :
» …lorsque les personnes ne disposent pas d’une autonomie suffisante pour prendre seules le traitement prescrit par un médecin…l’aide à la prise de ce traitement constitue une modalité d’accompagnement de la personne dans les actes de la vie courante ».
L’aide à la prise des médicaments peut, à ce titre, être assurée par toute personne chargée de l’aide aux actes de la vie courante dès lors que, compte tenu de la nature du médicament, le mode de prise ne présente ni difficulté d’administration ni apprentissage particulier.
Le libellé de la prescription médicale permet, selon qu’il est fait ou non référence à la nécessité de l’intervention d’auxiliaires médicaux, de distinguer s’il s’agit ou non d’un acte de la vie courante.
Des protocoles de soins sont élaborés avec l’équipe soignante afin que les personnes chargées de l’aide à la prise des médicaments soient informées des doses prescrites et du moment de la prise … »
Ainsi, en s’appuyant sur l’article L 313-26 du code de l’action sociale et des familles l’aide à la prise, dès lors que le médecin et l’infirmier ont jugé qu’il n’y avait pas de difficulté particulière quant à la nature du médicament, le mode de prise ou la nécessité d’un apprentissage particulier, peut être assurée par un AS, un AP, un AMP dans le cadre de la collaboration avec l’infirmier ou dans le secteur médico-social par tout autre professionnel concourant à l’aide.
Dans chacune des étapes, la responsabilité de chacun est engagée : C’est pourquoi, l’IDE doit s’assurer de la bonne transmission de l’information qui lui est nécessaire pour garantir la sécurité au patient en devra pour cela s’entourer de protocoles.
A mon sens ce sont ces protocoles qui sont susceptibles d’encadrer l’alimentation par sonde gastrique dans des conditions satisfaisantes.
L’ARS Midi Pyrénées dans sa réflexion sur la collaboration entre infirmiers et aides-soignants, auxiliaires de puériculture, aides medico-psychologiques et rappelait que les textes en vigueur s’appliquent argumentant que ces règles incontournables étaient destinées à garantir la sécurité des patients et la protection des professionnels.
Le protocole, ne peut évidemment pas suppléer la réglementation, mais il peut préciser de manière utile les conditions que l’on se propose de réunir pour garantir la sécurité des patients.
4 Responsabilités
La question que l’on peut ensuite naturellement se poser est bien évidemment celle de la responsabilité des professionnels concernés ; celle du personnel infirmier et de ceux amenés à collaborer à l’alimentation gastro entérale.
Nous envisagerons ensuite la responsabilité de l’établissement dans l’accueil de ce public.
Définition du petit Larousse « être responsable, c’est rendre compte devant une autorité de ses actes ou des actes de ceux dont il a la charge »
Il faut donc ses poser la question de savoir devant quelle autorité on répond de ses pratiques.
4.1 C’est la question de la responsabilité pénale qui occupe alors principalement les esprits :
A ce stade de mon propos, il me parait important de souligner que la responsabilité professionnelle ne peut sens s’entendre que du point de vue d’une improbable responsabilité pénale.
En effet, la qualification pénale d’exercice illégal de la profession d’infirmier ou de complicité d’exercice illégal de la profession d’infirmier serait en théorie susceptible d’être retenue par un parquet. Si je parle d’une assez improbable responsabilité pénale, c’est qu’à mon sens, le parquet ne poursuivrait pas des professionnels qui agiraient dans le cadre d’un protocole soutenu par un projet d’établissement : le principe d’opportunité des poursuites conduirait très certainement le parquet à classer sans suite le traitement pénal d’une telle affaire.
Il faut ensuite préciser que les plaintes au pénal dans le secteur médico-social n’ont pas subi la même inflation que dans le secteur sanitaire, la notion de responsabilité en sera par conséquent envisagée d’un point de vue sensiblement différent.
4.2 Responsabilité institutionnelle
Lorsqu’il s’agit d’envisager la responsabilité professionnelle, il faut se référer aux engagements pris dans le cadre d’un projet d’établissement.
Il ne s’agit pas de faire fi du cadre juridique mais d’envisager la question de la responsabilité du point de vue de l’établissement dans lequel l’acte est pratiqué, responsabilité à envisager aussi vis-à-vis de la réglementation propre au secteur médico-social.
On a vu que la stricte prise en compte du droit sanitaire conduit soit à exclure des établissements médico sociaux l’accueil de ces usagers parce qu’on ne peut pas garantir la présence d’une infirmière de manière continue, soit contourner le problème et faire en sorte que l’alimentation gastro entérale se fasse en dehors de leur temps d’accueil.
Or l’établissement est garant de la qualité de l’accueildu public qu’il accueille
Il me semble en effet important de souligner que la responsabilité de la structure gestionnaire à cet égard déclinée ensuite dans le projet d’établissement qui prévoit les conditions dans lesquelles il se propose d’accueillir les usagers porteurs de gastrostomie.
Or, la réglementation pose le principe d’un accompagnement individualise adapté aux besoins de l’usager, (art L311-3 CASF) il est de la responsabilité de l’établissement de proposer un accompagnement adapté c’est-à-dire de proposer aux personnes qui s’alimentent par sonde gastrique la prise en compte de leur problématique de santé.
Cette adaptation s’envisage par le biais d’un projet d’accueil et d’accompagnement personnalisé qui aurait vocation à préciser les conditions d’accueil de l’usager en faisant en sorte de faciliter sa vie quotidienne
Il faudra donc que l’établissement formalise un écrit qui définit de manière précise les modalités d’alimentation par sonde gastrique de cet usager particulier. Cette formalisation écrite permettra l’information de l’usager ou de son représentant légal sur les conditions spécifiques de son accueil.
D’autre part, on l’a vu, il parait important qu’un protocole ou guide des bonnes pratiques définisse de manière générale les pratiques des professionnels accompagnants, complété par un projet personnalisé qui précisera l’accompagnement de l’usager, et définira, entre autres, les conditions dans lesquelles il sera alimenté.
Le protocole, Selon l’agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES est « un descriptif de techniques à appliquer et/ou de consignes à observer. Il est une aide à la décision à l’usage des acteurs concernés. »
Le protocole suppose, une Réflexion pluri professionnelle interne qui précède l’élaboration d’un protocole de soins qui donne un cadre pour la formation des professionnels accompagnants
Le protocole suppose aussi une validation institutionnelle, dans l’idéal le projet d’établissement renvoie au protocole.
En conclusion, la démarche qui consiste à rédiger des protocoles, des projets personnalisés doit permettre de poser la question de l’alimentation par sonde gastrique en terme de responsabilité institutionnelle et de faire passer en second plan le responsabilité personnelle des professionnels participant à l’accueil : on sécurise ainsi les professionnels en leur proposant un cadre formalisé à l’accueil de ce public aux problématiques de santé particulières.
L’institution s’engage aussi auprès des usagers pour un accueil de qualité qui prend en compte leur problématique de santé.
Si le projet d’établissement fait clairement apparaitre les pratiques d’accompagnement qu’elle se propose de mettre en œuvre pour ce public particulier, cela permettra aussi de signifier de manière formelle aux autorités de tutelle que sont l’Agence régionale de santé et le Conseil Général l’existence de cette pratique.
Dans l’attente de l’évolution des textes, c’est l’analyse que je peux vous proposer afin d’envisager un accueil satisfaisant à ce public dans ces lieux de vie et d’accompagnement que sont les établissements médico-sociaux.
Bibliographie :
Le champ de la collaboration entre infirmiers et aides soignants, auxiliaires de puériculture, aides medico-psychologiques : ARS Midi Pyrénnées octobre 2011
Guide des références juridiques – produits de santé/ octobre 2012