Tout comme le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture et à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, le droit à un procès équitable, la liberté d’expression et d’information , le droit au respect des biens, le droit à avoir une vie relationnelle affective et sexuelle constitue un droit fondamental que l’état doit garantir, parce qu’il constitue un socle de la vie en société.
Si la société n’est pas débitrice d’une créance pour en garantir l’effectivité, elle doit néanmoins faire en sorte pour garantir cette liberté, de s’abstenir d’entraver son exercice. Nous examinerons ce qui dans la loi permet la protection de la vie privée des personnes en situation de handicap, qui sont du fait de la vulnérabilité liée à cette situation de handicap sont plus sujette à des empiétements injustifiés à leur vie privée.
Nous nous interrogerons enfin sur qui dans la loi permet la promotion chez les personnels du secteur sanitaire et social les bonnes pratiques relatives à la vie privée, au respect de la liberté et de la dignité des personnes handicapées.
Promouvoir la vie sexuelle, ou commencer par s’abstenir de l’entraver
La vie sexuelle des personnes en situation de handicap, qui est sans conteste un élément de la vie privée[1] doit pouvoir être promue au sein de l’institution et à l’extérieur.
Le Droit au respect de la vie privée, protégé par les articles 9 du code civil, 8 de la convention européenne des droits de l’homme est spécifiquement rappelée pour les personnes en situation de handicap qui se trouvent dans des situations de dépendance particulière notamment lorsqu’elles sont accompagnées par des institutions médico-sociales ainsi que lorsqu’elles font l’objet d’une mesure de protection juridique.[2]
1- Il n’y a pas si longtemps, des institutions médico-sociales hébergeant des adultes inscrivaient dans leur règlement de fonctionnement, appelé à l’époque règlement intérieur, que les relations sexuelles étaient interdites au sein de l’établissement.
Dans la mesure où une infime partie des personnes hébergées pouvaient s’organiser pour avoir des relations sexuelles à l’extérieur de l’établissement, cela équivalait à dire que l’on interdisait à ces personnes toute vie sexuelle …et cela ne posait guère problème à quiconque tant du côté des professionnels, que des familles…
On peut espérer que ces temps soient révolus, mais le sont-ils réellement ?
Certes il n’existe quasi plus de règlement de fonctionnement interdisant les relations sexuelles, mais dans les faits comment cela se passe-t-il ? Les chambres sont-elles adaptées ? Le règlement de fonctionnement autorise-t-il une personne extérieure à l’institution à venir passer la nuit dans la chambre d’un résident ? Existe-t-il des chambres doubles pour les résidents qui souhaiteraient se mettre en couple ?
A la lecture de nombreux articles sur le sujet et pour fréquenter ces établissements médico sociaux en tant que formatrice consultante, je peux affirmer que nombre d’institutions médico-sociales entravent encore la vie sexuelle des personnes qu’elles accueillent.
La question n’est pas de pointer des « mauvaises pratiques » mais de dresser des constats et mesurer le chemin à parcourir…
Les raisons invoquées pour empêcher la vie sexuelle sont souvent matérielles : la configuration architecturale actuelle ne nous permet pas d’envisager des chambres pour des couples constitués au sein de l’institution, ailleurs c’est la question de la sécurité des personnes accueillies qui empêcherait d’accueillir des personnes extérieures, quand ce n’est pas la famille qui est opposée à la relation… (Mais nous reviendrons sur ce point particulier)
Les raisons invoquées sont multiples et variées et aboutissent toujours au final à priver de vie sexuelle des personnes résidant dans des institutions médico-sociales.
Il me parait souvent curieux de constater que les établissement se focalisent sur une responsabilité incertaine liée aux risques -non réalisés- qu’ils auraient à laisser ce droit s’exercer et n’envisagent que rarement qu’ à priver d’un droit une personne accueillie ils engagent de manière certaine leur responsabilité.
Je ne dis pas ici que la sexualité ne doit pas être « encadrée », ni « accompagnée » pour certaines personnes dont la situation de handicap induit une certaine vulnérabilité, mais je tiens à rappeler que les seules restrictions envisageables doivent être prévues par le règlement de fonctionnement de l’établissement et justifiées par le respect des règles de vie collectives au sein de l’établissement. Elles doivent être proportionnées au but à atteindre et en aucun cas priver totalement la personne accueillie de l’exercice de sa sexualité.
Ainsi un arrêt récent de la CAA de Bordeaux[3] a rappelé que la jouissance de cette liberté ne pouvait être déniée à une personne hospitalisée et que des aménagements pouvaient être envisagés dans un contexte particulier mais qu’ils ne pouvaient être généraux et absolus , dans cette affaire un patient hospitalisé dans une unité de soins psychiatrique contestait un règlement de fonctionnement interdisant les relations sexuelles.
Veillons à ne pas faire preuve de naïveté, ces interdictions générales et absolues n’ont jamais empêché certaines personnes accueillies dans les établissements médico-sociaux d’avoir une sexualité, simplement l’interdiction avait pour conséquence d’exclure des préoccupations institutionnelles tout le champ de la sexualité des personnes accueillies.
2-La loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs vient modifier le code civil pour permettre une amélioration notable de la protection de la vie privée des personnes protégées.
Pour illustrer les avancées de ce texte sur la question de vie privée des personnes protégées, revenons à la situation évoquée précédemment où la famille d’une personne accueillie en institution médico-sociale s’oppose à ce que « son enfant » devenu adulte entretienne une relation affective ou sexuelle en imaginant qu’un de ses parents soit tuteur. J’ai souvent rencontré des situations où les professionnels référents se plient à la décision du parent tuteur, imaginant qu’il a autorité. Il n’en est rien…
La réforme de 2007 définit des actes dont la nature implique un consentement strictement personnel qui ne peuvent jamais donner lieu à assistance ou représentation de la personne protégée. Ainsi « la personne entretient librement des relations personnelles avec tout tiers, parent ou non. Elle a le droit d’être visitée et le cas échéant hébergée par ceux-ci » [4]
Il n’y a par conséquent aucune autorisation à demander à quiconque pour l’organisation des relations personnelles des personnes protégées. Si la dépendance affective de la personne protégée avec son tuteur rend les choses plus complexes, il est important de savoir que le tuteur n’a pas à apprécier, ni autoriser ces dernières.
L’article 459 du code civil prévoit que « la personne protégée prend seule les décisions relatives à sa personne dans la mesure où son état le permet » ce n’est que sur autorisation du juge que la personne chargée de la mesure peut prendre une décision portant gravement atteinte à la vie privée de la personne protégée et tant que la personne est apte à signifier ses choix, il ne parait pas opportun de saisir un juge.
Promouvoir des bonnes pratiques autour de la question de la sexualité
Si le droit vient donc rappeler qu’une vie relationnelle affective et sexuelle ne peut être entravé, force est de constater que cette préoccupation est relativement récente dans les pratiques d’accompagnement des services et institutions médico-sociales.
Reste donc la question de savoir comment aborder la prise en compte de la sexualité des personnes accueillies dans les structures médico-sociales et comment la société se propose finalement d’améliorer la question de la sexualité des personnes en situation de handicap.
1-L’accompagnement proposé autour de la vie relationnelle, sexuelle et affective des personnes accueillies en institution médico-sociale, parce qu’elle constitue une composante de la vie privée, et doit depuis la loi du 2 janvier 2002 détaillé dans le projet personnalisé.
L’exigence d’individualisation qui prévaut depuis plus de 10 ans dans l’action sociale et médico-sociale amène donc l’institution à formaliser un projet individualisé qui définira les grandes lignes de l’accompagnement proposé par la structure.
Restent pour définir la nature des accompagnements proposés un certain nombre de questions: Comment prévenir une grossesse, comment prévenir une MST ou le Sida ? Comment apprécier le consentement d’un des partenaires ? Comment aborder la question de la sexualité dans le respect des croyances familiales ? Que dire face à un désir d’enfant ? Comment protéger des désillusions de la vie affective et sexuelle ?
Autant de situations auxquelles le droit ne répond que partiellement et qu’il faut plutôt chercher vers le savoir-faire, la connaissance des problématiques des personnes accueillies par les professionnels.
La culture autour de l’accompagnement à la vie relationnelle, sexuelle et affective reste à bâtir pour que tous les établissements médico sociaux élaborent des projets individuels qui abordent la question de la vie relationnelle affective et sexuelle..
Le chemin est long :Preuve en est les règlements de fonctionnement qui obligent encore l’ensemble des usagers de sexe féminin à être sous contraceptif, niant toute prise en compte de la spécificité de chacune de ces femmes et violent de manière délibérée le droit à l’individualisation, l’adaptation aux besoins affirmé depuis la loi du 2 janvier 2002.
Les expériences menées par les institutions sociales pour aborder la question de la sexualité des personnes en situation de handicap sont récentes et encore circonscrites à quelques structures, c’est la raison pour laquelle le CNCE renvoie dans son avis l’exigence de formation des professionnels du secteur du handicap et de partage d’expériences ; esprit dans lequel cette journée de réflexion s’inscrit parfaitement.
2- Droit à participer à toute la vie sociale.
Si le CCNE rejette l’idée d’un droit à compensation pour la vie affective et sexuelle, il insiste sur le devoir d’intégration qui devrait permettre aux personnes en situation de handicap de rencontrer d’autres personnes avec lesquelles elles pourraient nouer des relations affectives. Il argumente « La société a un devoir de faire en sorte que-la personne handicapée- soit quand c’est possible scolarisée en milieu ordinaire, logée, transportée dans les mêmes conditions que chaque citoyen, l’état a ce devoir d’intégration dans la société devrait laisser l’opportunité aux personnes en situation de handicap de rencontrer d’autres personnes avec lesquelles il pourrait ensuite nouer des relations affectives. »
Au terme de ce tour d’horizon du droit français à l’égard de la sexualité des personnes en situation de handicap, Je conclurais mon propos en ajoutant que si l’état est garant de ce devoir d’intégration, les établissements qui accueillent des personnes en situation de handicap se trouvent ; de fait, investis d’une responsabilité particulière qui leur impose de privilégier l’ouverture vers l’extérieur , ouverture qui limitera les situations d’isolement et favorisera l’inscription des personnes accueillies dans un environnement social potentiellement vecteur de rencontres.
[1]comme cela a été rappelé par la CAA Bordeaux le 6 novembre 2012 dans une affaire où un patient d’un hôpital psychiatrique contestait le règlement de fonctionnement de l’établissement qui interdisait les relations sexuelles entre patients. Décision n° 11BX01790, F Vialla vie privée : « Vol au dessus d’un nid de coucou ? revue Droit et santé 2011 n°40 p 105
[2] Articles 459 et 459-2 du code civil
[3] CAA Bordeaux le 6 novembre 2012. Décision n° 11BX01790, F Vialla vie privée : « Vol au-dessus d’un nid de coucou ? Revue Droit et santé 2011 n°40 p 105
[4] Art 459-2 du code civil